Le cyclisme est loin d'être un sport important en Ouganda. Charles Kagimu (22 ans, équipe Bike Aid) est le premier cycliste Ougandais à participer à des courses professionnelles en Europe. Nous avions fait un article sur Charles il y a 2 ans et demi que vous pouvez trouver ici (nous vous raconterons ce qu'il s'est passé pour lui depuis et ce qui est à venir dans la deuxième partie cet article) ; Charles a seulement réalisé que le cyclisme pourrait vraiment être quelque chose de sérieux pour lui à l'âge de 17 ans, et 2 ans plus tard il a rejoint l'équipe Continentale allemande Bike Aid. Les histoires des équipiers kényan de Charles chez Bike Aid sont similaires : Salim Kipkemboi ne savait pas que le cyclisme était un sport avant de rencontrer les membres de l'équipe Kenyan Riders alors qu'il transportait du bois sur son vieux vélo, et Suleiman Kangangi ne connaissait pas non plus le cyclisme professionnel avant de rejoindre l'équipe Kenyan Riders à l'âge de 20 ans. Cependant, l'histoire de l'Ougandais Jordan 'Schleck' Ssekanwagi est complètement différente : Jordan a 18 ans, il vient d'une famille de cyclistes et depuis très jeune il impressionne par ses résultats sur les courses de vélo en Ouganda et dans d'autres pays d'Afrique de l'Est. Nous allons vous le présenter dans cet article, grâce à son témoignage et à ceux de David Kinjah, directeur du club kényan Safari Simbaz, et de Charles Kagimu. En seconde partie d'article, on parlera de ce qu'il s'est passé ces 2 dernières années pour Charles Kagimu et pour le cyclisme Ougandais en général.
Débuts dans le cyclisme très tôt
Jordan Ssekanwagi est né à Kampala, la capitale de l'Ouganda, le 20 septembre 2002. Il est le fils de David Matovu, un cycliste passionné qui est ancien champion national d'Ouganda. David Matovu a beaucoup couru en Afrique de l'Est et a aussi participé à quelques Jeux du Commonwealth. Aujourd'hui, à 38 ans, il court encore localement lorsqu'il en a l'opportunité et coach un club cycliste Ougandais nommé Tropical Heat Cycling Academy. Il a aussi longtemps coaché son fils Jordan Schleck Ssekanwagi qui a commencé le cyclisme très tôt : "J'ai commencé à faire du vélo très jeune, raconte Jordan, à 4 ans, et ensuite j'ai commencé à prendre le vélo au sérieux et à m'entrainer quand j'avais environ 8 ou 9 ans." Jordan était très petit et léger et il a immédiatement impressionné sur son vélo. Il suivait déjà les courses cyclistes à la télé à un très jeune âge et supportait Andy et Frank Schleck. C'est pour ça que sa famille a commencé à le surnommer 'Schleck', et ça a ensuite été ajouté à son nom quand il avait environ 6 ans : "Quand j'étais petit, se souvient-il, j'adorais Andy Schleck et j'étais bon dans les montées, donc ma famille a décidé ‘on devrait l'appeler comme ça’ et ça a ensuite été ajouté à mon nom." Jordan Schleck Ssekanwagi a commencé à courir avec un VTT, puis en 2014 il est passé à un vélo de route en bambou et en carbone construit par son père, qu'il a utilisé jusqu'en 2017. En Ouganda, il courait souvent avec les Elites car il y a très peu de courses pour les Juniors, et alors qu'il était encore un enfant il était déjà parmi les meilleurs coureurs. Il courait aussi parfois en Tanzanie ainsi qu'au Rwanda et au Kenya où les courses sont mieux organisées et le niveau est plus élevé. La première course Junior de Jordan au Kenya était en 2013. En 2015, à 14 ans, il était le plus jeune coureur au départ du Tour de Machakos, la plus importante course par étape au Kenya.
Jordan a été 4 fois champion national d'Ouganda dans la catégorie Junior de 2014 à 2017. Son premier titre en 2014, alors qu'il n'avait que 11 ans, est un de ses meilleurs souvenirs : "Je me souviens ce jour-là, j'étais un petit enfant qui courait avec les grands et j'ai remporté le championnat national Junior ; et la même année mon papa a remporté le championnat Elite… c'était bien pour la famille" s'amuse-t-il. C'était aussi l'une des premières fois que Charles Kagimu, qui venait juste de commencer le cyclisme, courait avec lui, et il avait été très impressionné : "la première année où on a couru ensemble en 2014 il a remporté le championnat national Junior, c'est toujours impressionnant quand on voit les résultats qu'il peut obtenir sur les courses, j'espère juste qu'il pourra trouver une équipe et faire de bonnes courses, et on ne sait jamais... je pense que c'est un très bon coureur." Charles Kagimu considère que Jordan est "juste quelqu'un de décontracté, facile à vivre. Juste un gars cool, vraiment cool."
Jordan Schelck Ssekanwagi, au milieu au départ de sa première course au Kenya (qu'il a remportée)
Une première opportunité perdue
Jordan Schleck Ssekanwagi était déjà l'un des meilleurs cyclistes en Ouganda alors qu'il n'avait que 14 ans, ses résultats étaient très impressionnants localement, et il a presque eu l'opportunité de déjà passer une grande marche dans sa carrière en allant en Europe. C'était un ami ougandais de Jordan qui avait parlé le premier de lui à l'équipe Belge "Cannibal Team", une très bonne équipe européenne de jeune (qui a des équipes U17 et U19 masculines et féminines), quand il était allé en Belgique. La direction de Cannibal Team était impressionnée par les vidéos et les résultats de Jordan donc ils lui ont d'abord envoyé des maillots et du matériel, puis ont voulu faire venir Jordan en Belgique pour courir avec eux en 2017. Mais Jordan n'est jamais allé en Belgique, car il n'était pas en bon terme avec la fédération ougandaise de cyclisme qui a refusé de lui signer les documents nécessaires pour obtenir un visa.
Pour comprendre pourquoi Jordan n'a pas pu aller en Belgique, il faut expliquer comment la fédération ougandaise de cyclisme fonctionne et pourquoi ils ont eu des problèmes avec Jordan. La fédération ougandaise de cyclisme (elle s'appelle Ugandan Cycling Association pour être exact, en tant qu'association elle a un statut différent mais le même rôle qu'une fédération), comme beaucoup de fédérations de cyclisme en Afrique, est corrompue. David Kinjah, qui est un bon ami du père de Jordan, est le cycliste kényan le plus expérimenté et le directeur du club kényan Safari Simbaz (où Chris Froome courait lorsqu'il était au Kenya), il connait bien la difficulté d'avoir une fédération corrompue car le problème est le même au Kenya. Il explique : "En Afrique, les fédérations sont comme les gouvernements, quand vous avez un président de fédération en exercice, il le prend comme sa propriété à lui : il est là pour rester." Sam Muwonge, l'actuel président de la fédération ougandaise, a été encore réélu cette année. "En février il y avait des élections mais je pense que ces élections ont eu lieu à huis clos..." nous dit Charles Kagimu. "On a les mêmes dirigeants depuis des années maintenant, c'est très dur d'avoir du changement et de comprendre comment les choses fonctionnent. Personnellement, je préfère toujours juste rester silencieux car je ne veux pas les combattre puisque je suis un coureur et je ne veux pas avoir de malentendu avec eux" ajoute Charles. Les fédérations corrompues sont un grand frein au développement du cyclisme dans certains pays comme en Ouganda ou au Kenya. Les fédérations devraient uniquement s'occuper d'aider les coureurs locaux, mais dans ces pays "ils cherchent seulement des moyens de servir leurs intérêts politiques ou de se faire de l'argent grâce à la leur position" comme le dit David Kinjah. Dans les faits, en Ouganda, ils ne font aucun effort pour organiser plus de courses ou aider les jeunes coureurs, ils essayent parfois de faire payer les coureurs pour obtenir les documents officiels dont ils ont besoin et tolèrent même parfois que les organisateurs de course trichent (aide avec les motos ou racourçis) pour ne pas que certains coureurs qu'ils ne souhaitent pas voir gagner puissent franchir la ligne en premiers. Un autre problème très commun en Ouganda est les annulations de dernières minutes des courses de l'équipe nationale, qui sont très frustrantes pour les coureurs. Le cas le plus récent est le Tour of Lunsar en Sierra Leone où l'Ouganda devait avoir une équipe masculine et féminine, mais la fédération n'a pas réussi à débloquer les fonds à temps pour les vols. Un autre exemple : de 2017 à 2019, la fédération ougandaise de cyclisme voulait envoyer Charles Kagimu aux championnats du monde Espoir, mais il n'a finalement pas prit le départ une seule fois. Charles explique le problème : "Certaines personnes qui travaillent avec la fédération ne savent pas ce qu'ils font, parfois ils prennent rendez-vous à l'ambassade trop tard, parfois ils oublient certains documents... Mais aussi parfois je pense qu'ils reçoivent l'argent pour les voyages mais ils essayent de faire en sorte que le voyage ne puisse pas avoir lieu et ils ne rendent jamais l'argent, ils le gardent pour eux." Sans des structures indépendantes comme Safari Simbaz ou Kenyan Riders au Kenya et Masaka Cycling Club ou Tropical Heat Cycling Academy en Ouganda, les coureurs locaux, qui généralement viennent d'un milieu non-cycliste, ne pourraient que disparaitre. "Donc au final on se retrouve avec des gens comme le père de Jordan ou comme moi qui faisons le travail à leur place, et la fédération reçoit le mérite pour rien" résume David Kinjah. Faire changer les choses est très difficile, certains (dont David Kinjah au Kenya) ont essayé dans beaucoup de pays où la fédération est corrompue, mais très peu ont réussi. L'UCI est au courant de la situation, mais dans la plupart des pays le problème est plus profond que la fédération de cyclisme, c'est lié à la politique nationale, donc il n'y a rien que l'UCI puisse faire pour vraiment résoudre le problème.
C'est dans ce contexte que David Matovu, le père de Jordan, quand il a arrêté la compétition, a commencé à devenir un ennemi de la fédération. Il était fortement opposé à eux et faisait beaucoup d'effort pour tenter de faire changer les choses pour le mieux. "La fédération ne voulait plus le voir, explique David Kinjah. Donc David Matovu a automatiquement commencé à apprendre à son fils ce qu'il se passait : 'Je me bats pour vous mais ces gens se battent contre moi car ils pensent que je suis une menace.' Le père avait des problèmes et maintenant Jordan, en tant que jeune coureur qui n'avait que 14 ans, a commencé à subir toute cette politique ! J'ai donc dit à David Matovu 'tu sais, la meilleure chose à faire est de juste apprendre aux jeunes à être les meilleurs cyclistes qu'ils puissent être, tu ne peux pas faire grand-chose pour la fédération'. J'ai le même problème ici au Kenya, j'étais un opposant à la fédération pendant de nombreuses années mais j'ai dû apprendre comment vivre avec cette fédération comme ennemi et comme voisin." Quand Jordan a eu l'opportunité d'aller en Belgique pour rejoindre Cannibal Team en 2017, il avait besoin d'une lettre recommandée de la fédération ougandaise de cyclisme pour obtenir un visa. Mais étant donné le conflit que la fédération avait avec le père de Jordan, ils n'avaient pas très envie de lui écrire cette lettre. "La fédération ougandaise de cyclisme n'était pas en bons termes avec mon père, explique Jordan, ils avaient leur conflit politique, ils ont eu beaucoup de disputes, et ils m'ont inclus dans leur conflit politique." Jordan était très jeune, et énervé d'être dans une telle situation, donc il n'a pas agi de la meilleure des manières pour convaincre la fédération de le laisser aller en Belgique non plus, comme Charles Kagimu l'explique : "Le conflit était avec son père, mais je crois que Jordan a aussi dit des choses qui étaient très mauvaises sur un groupe WhatsApp. Je lui en ai aussi voulu parce qu'il n'avait pas à faire ça, et ensuite malheureusement il a perdu beaucoup d'opportunités à cause de ça. J'espère juste que de telles choses n'arriveront plus jamais car je pense que Jordan serait dans une très bonne situation si tout ça n'avait pas eu lieu."
Jordan n'est jamais allé en Belgique mais il a couru en Ouganda et au Kenya avec le maillot de l'équipe Cannibal.
Rebondir au Kenya
Après qu'il n'ait pas pu rejoindre Cannibal Team en Belgique, Jordan Schleck Ssekanwagi était frustré et il devait trouver la motivation pour continuer le cyclisme. C'était de plus en plus difficile de continuer en Ouganda où la tension continuait de grandir entre sa famille et la fédération qui les chassait. David Kinjah de l'équipe Safari Simbaz au Kenya est un ami de longue date du père de Jordan avec qui il courait souvent par le passé, il connaissait aussi déjà Jordan car il allait courir de temps en temps au Kenya depuis longtemps. Plus tôt, David Kinjah avait déjà dit à David Matovu - le père de Jordan - qu'il pourrait envoyer son fils au Kenya quand il aurait terminé l'école, afin qu'il reste à distance des tensions politiques ougandaises. Quand David Kinjah apprit à quel point la situation devenait mauvaise en Ouganda - la police avait arrêté des coureurs qui protestaient ; les équipes qui s'étaient opposés à la fédérations ne pouvaient pas participer au championnat national ; un proche de la fédération avait même volontairement fait tomber Jordan et jeté son vélo, des supporters avait alors frappé cet homme et la fédération accusait Jordan d'en être responsable - il appella à nouveau David Matovu et lui dit qu'il devait envoyer son fils au Kenya et que Jordan était le bienvenu au camp des Safari Simbaz où il pourrait être logé, nourri, entrainé...
C'est en 2018 que Jordan a commencé à vivre au Kenya, il avait 15 ans. "Je devais quitter le cyclisme Ougandais pour éviter les problèmes politiques et essayer de me reconcentrer sur mes objectifs, donc j'ai essayé de prendre un nouveau départ dans un nouveau pays" explique-t-il. Au début, ce n'était pas au camp de David Kinjah, mais chez son oncle habitant Nairobi. Son oncle travaille pour une organisation internationale, et il a aussi un petit magasin de vélo à Nairobi. Jordan apprenait à être mécanicien donc il pouvait travailler dans la boutique de son oncle et s'entrainer avec David Kinjah. Mais après seulement un mois, l'oncle de Jordan appela David Kinjah et lui dit qu'il ne pouvait pas garder Jordan. "J'ai demandé 'quel est le problème encore ?', se souvient David Kinjah, 'Ce garçon, il ne pense qu'au vélo, il ne peut jamais se concentrer sur autre chose : il ne peut pas travailler, il veut juste faire du vélo. Quand il part s'entrainer, il ne revient que le soir… Il n'y a que toi qui puisse t'en occuper.' J'ai donc dit qu'on doit s'occuper de ce garçon comme un cycliste, on doit comprendre l'énergie qu'il a, son focus, ses ambitions, ses rêves… Je lui aie dit 'apporte le moi', car c'est ce que j'avais déjà dit à son père 2 ans plus tôt. Donc, il est arrivé au camp des Safari Simbaz et il vit maintenant ici depuis 2 ans. Quand il est arrivé, j'ai commencé à le changer : je guide ces gars, je leur parle, on évalue la situation. J'ai appris à Jordan 'Ok, que peux-tu faire pour ça ? Rien. Mais tu peux faire quelque chose pour ça, pour ça et pour ça. Donc ne te concentres pas sur les choses négatives, concentres toi sur ce que tu peux améliorer. J'ai changé ses idées et ses plans d'entrainement, et amélioré sa mentalité. En un an il faisait des Top 5 en course, même avec les coureurs Elites, et il était encore Junior. Et durant sa deuxième année, l'an dernier, il gagnait ; et quand il retournait en Ouganda, ils avaient beaucoup plus de respect pour lui parce qu'il revient en champion, seulement 1 an et demi après, et il est capable de battre Charles Kagimu, le meilleur coureur du pays." Safari Simbaz est une très bonne équipe pour Jordan, David Kinjah est très expérimenté et il sait ce qui est le mieux pour Jordan. Le fait que Chris Froome ait aussi été formé dans le même club quand il était jeune est très motivant, ça permet aux coureurs de réaliser qu'il est possible de devenir un excellent cycliste en venant du Kenya. Depuis fin 2019, Jordan est clairement parmi les 6 ou 7 meilleurs coureurs sur les courses kényanes, et il peut gagner sur tous les types de parcours. Les autres meilleurs coureurs au Kenya sont les coureurs de Bike Aid et d'autres plus expérimentés, alors que Jordan a fêté ses 17 ans en 2019 et qu'il en a maintenant 18.
Jordan au milieu, David Kinjah à droite
Tour de Machakos
Le succès de Jordan a permis d'apaiser les tensions avec la fédération ougandaise de cyclisme : "comme j'ai commencé à performer, raconte Jordan, ils ont commencé à me reparler pour que je puisse courir avec l'équipe nationale, j'ai dit ‘ok très bien mais vous devez d'abord parler avec David Kinjah', car c'est quelqu'un d'intelligent et il sait comment ils fonctionnent." David Kinjah a déjà eu beaucoup de problème entre ses coureurs et les fédérations nationales de cyclisme dans le passé, notamment avec Chris Froome, donc il sait comment s'y prendre pour résoudre les problèmes. Quand il était au Maroc pour les Jeux Africains en 2019 en tant que coureur lui-même, il a demandé à parler au président de la fédération ougandaise de cyclisme. "Je crois que je devais être le coureur le plus âgé de Jeux. C'est ma façon d'impressionner et d'essayer de laisser la politique en dehors de ça. J'ai eu la chance de voir le président de la fédération ougandaise, il me connait, il m'a dit 'hey Kinjah, félicitations old man, vous courez toujours beaucoup, et merci de vous occuper de notre jeune coureur Jordan, il s'en sort très bien.' J'ai dit ‘oui, j'ai besoin de vous parler de lui, c'est pour ça que je devais vous voir’. On a donc parlé de Jordan, il m'a dit ce qui posait problème et les mauvais comportements que Jordan avait eu, comme crier sur des représentants de la fédération… on a parlé pendant environ une heure et j'ai dit 'nous devons regarder ces jeunes comme des ougandais avant tout, et ensuite il faut les voir comme nos représentants, nos portes drapeaux.' Finalemment, on s'est entendus sur le fait que l'on allait travailler ensemble là où on le peut, donc la situation est correcte depuis, il y a toujours des tensions car la fédération ougandaise est une fédération corrompue et ce qui les intéresse le plus n'est pas leurs coureurs, mais c'est pas mal." Jordan confirme que "les choses se passent plutôt bien désormais".
Maintenant, Jordan Schleck Ssekanwagi apprend à faire des choses qui sont directement liées au cyclisme mais qui lui permettent de gagner sa vie : il travaille en tant que mécanicien et coach des enfants qui commencent le vélo ainsi que leurs parents. "Il a maintenant son propre compte et peut mettre ses économies sur ce compte, comme nous le faisons pour tous les autres membres du club explique David Kinjah. Jordan utilise aussi l'argent qu'il gagne sur les courses pour acheter des vélos et des pièces détachées en Ouganda, qu'il revend ensuite au Kenya car plusieurs régulations différentes fon qu'il est beaucoup plus facile de trouver des vélos peu chers en Ouganda qu'au Kenya. "Il apprend à être un jeune coureur qui adopte déjà le business, explique Kinjah, et il le fait bien. C'est à ça que Safari Simbaz sert : le projet de l'équipe Safari Simbaz n'est pas seulement de former un nouveau Chris Froome. Notre principal objectif est de créer ces passerelles. Jordan est très apprécié par les gens maintenant, il commence à devenir une personnalité, il fait des choses utiles et donc devient un atout pour la communauté. Les Safari Simbaz rêvent de construire plus de ces atouts pour la communauté afin que la fédération voie que c'est nous qui faisons les bonnes choses, nous apprenons les bonnes choses aux jeunes et on pousse le cyclisme dans la bonne direction. Le plus importante en Afrique, c'est que l'on n'ait pas seulement des projets cyclistes qui se concentrent sur former les tous meilleurs coureurs, mais des projets qui construisent les fondations du futur du cyclisme."
Jordan est petit, il mesure 1m60, et il est aussi léger : "Si je suis en forme je fais normalement 47 ou 48 kg, durant l'intersaison je monte jusqu'à 50kg." Il a clairement un profil de grimpeur et ce qu'il préfère sont les longues montées. Cependant, au Kenya, il peut bien faire sur tous les types de course. "Je suis plutôt un grimpeur, mais je peux aussi performer sur les autres courses quand il n'y a pas de vent, sur les chronos où le vent n'est pas trop fort je performe bien en général." David Kinjah considère que "Jordan est un cycliste complet. Il est très petit mais quand il faut sprinter il est plutôt rapide - pas au niveau professionnel, mais il est rapide. Dans les montées, il peut grimper avec les meilleurs et même les lâcher quand il accélère, et il peut aussi maintenir un rythme très élevé sur le plat. Mais je ne l'autorise pas à rouler avec un trop gros braquet, mon style de coaching est le même qu'avec Chris Froome il y a de nombreuses années, je leur apprends comment utiliser leur énergie avec un plus petit braquet, donc en tournant plus les jambes. Jordan a une tendance, il aime pousser de très gros braquets tout le temps, quand je suis là je lui dis 'non, non, non, baisse, baisse, arrête ça' car avec son petit corps, s'il continue à pousser de trop gros braquets tout le temps, dans quelques années il aura des problèmes avec ses genoux, son dos... Je regarde déjà dans 10 ans et j'essaie d'éviter ce genre de problèmes." Jordan est vraiment passionné par le cyclisme, il suit les courses pros depuis qu'il est tout petit et il fait attention aux moindre détail. "Le plus grand avantage avec Jordan est qu'il est très attentif au détails, Kinjah continue, sa tête est pleine de vélos, il ne pense qu'au cyclisme tout le temps donc pour moi c'est assez facile de le coacher, tout ce que je fais est de le guider. Parfois il est aussi très têtu, les autres garçons du camp ne peuvent pas le suivre donc il s'énerve ; parfois il dit 'demain on se lève à 6h, on doit faire 200km' et le lendemain les autres sont encore paresseux, pas bien réveillés et trainent les pieds, et ça énerve beaucoup Jordan donc je dois le calmer." David Kinjah croit beaucoup en Jordan, et il essaie de lui donner le meilleur matériel possible : "Jordan est notre coureur préféré chez les Safari Simbaz donc on essaie de faire beaucoup pour lui, on n'a pas de sponsor pour les vélos et les équipements donc il nous faut en trouver de bons. Jordan court, donc on doit le mettre sur un vélo qui soit au moins correct, on ne veut pas qu'il ait un vélo de merde, on vise de bons résultats avec lui. On doit faire en sorte qu'il ait un vélo pour le chrono, un vélo pour les courses sur route, un vélo pour l'entrainement et un vélo pour le VTT. On fait de notre mieux."
Jordan en tête, suivi par Charles Kagimu - Two Rivers Crit Race
African Continental Championships
En 2020, Jordan avait pour objectifs ses premiers African Continental Championships qu'il devait courir dans la catégorie Junior. La course devait se tenir à Maurice et il venait avec de grandes ambitions : "Je l'avais préparé pour gagner le contre la montre, dit David Kinjah. Le contre la montre ne faisait que 13km pour les Juniors et Jordan gagnait déjà des contres la montre de 30km ici au Kenya face aux coureurs Elites." Etant donné ses résultats au Kenya, il avait clairement de grandes chances d'obtenir au minimum une médaille sur le chrono et un tel résultat l'aurait fait connaitre de toutes les équipes en Afrique, mais la course a été l'une des premières à être annulée en raison de la pandémie de Covid-19. Malheureusement, Jordan a manqué ici sa seule opportunité de faire une grande course dans la catégorie Junior, car l'Ouganda n'avait pas participé aux championnats d'Afrique en 2019, et il est né en 2002 donc il n'est plus dans la catégorie Junior en 2021. "Je me souviens, raconte Jordan, j'étais vraiment vraiment en bonne forme donc j'espérais décrocher des médailles, mais malheureusement ils ont annulé les championnats donc je n'ai pas eu cette chance. Souvent aujourd'hui quand je m'assois, je me dis 'j'ai perdu cette chance', peut-être que c'était le moment où je devais briller dans mes années Junior. C'est très dur mais je dois m'y faire."
Cette année, Jordan Schleck a finalement pu participer aux championnats d'Afrique, mais il devait courir avec les Elites. Agé de 18 ans, Jordan était l'un des plus jeunes coureurs au départ. Le parcours au Caire, en Egypte, ne lui correspondait pas très bien, surtout avec le très fort vent, c'était difficile pour lui et ses 48 kg seulement d'évoluer avec les violentes rafales. Il a terminé 13ème du contre la montre (4ème parmi les coureurs Espoirs) et était l'un des 23 coureurs seulement qui sont parvenus à terminer la course en ligne dans les délais. Jordan était content d'avoir eu cette première opportunité de faire une grande course, "plus tu fais de grandes courses, plus tu gagnes d'expérience et plus ça t'ouvre l'esprit, dit-il. Donc c'était très bien, bien que ma préparation ne fût pas la meilleur car j'ai été prévenu très tard que j'allais faire ces courses, et je n'avais pas non plus mon vélo de chrono. Si je peux participer aux prochains championnats d'Afrique, il faut que je sois mieux préparé, que je corrige certaines erreurs, et je verrais si j'obtiens de bons résultats."
Au départ des Championnats Continentaux Africains 2021, Jordan avec Charles Kagimu derrière (gauche) et en compagnie de David Kinjah (droite)
La suite ?
Etant déjà l'un des meilleurs coureurs au Kenya et en Ouganda à 18 ans, Jordan a maintenant besoin de franchir une nouvelle étape. Il doit aller en Europe, ou au moins dans un pays, comme en Afrique du Sud, où le niveau des courses locales est plus élevé.
La première possibilité pour lui est de suivre les pas de Charles Kagimu et des kényans Salim Kipkemboi, Suleiman Kangangi et autres, en rejoignant l'équipe Continentale Allemande Bike Aid. Bike Aid était partenaire avec une autre club au Kenya - Kenyan Riders - mais ils prennent aussi d'autres coureurs africains ; et venant de Kenya/Ouganda, Jordan est clairement LE coureur à signer aujourd'hui. Mais pour le moment, il n'a eu aucun contact avec Bike Aid. "Je pense qu'ils seraient très intéressés de le prendre, nous dit Charles Kagimu, je veux parler de lui avec le manager de l'équipe. Mais normalement, ça dépend de combien de coureurs africains ils pourront prendre, cette année on est trois donc ça dépend s'ils veulent en prendre plus l'année prochaine, ou peut-être moins, ou peut-être autant. Mais je pense que ce serait vraiment vraiment bien s'ils le prenaient car ce serait une très bonne opportunité pour l'équipe et aussi pour lui, et je pense qu'il correspondrait très bien à l'équipe."
Si l'Ouganda était un pays où la fédération travaillait avec le Centre Mondial du Cyclisme Afrique, ça ne fait aucun doute que Jordan y serait déjà allé. (Beaucoup de pays africains travaillent avec le CMC Afrique, ils envoient leurs meilleurs coureurs participer à des stages à Paarl, en Afrique du Sud, et les meilleurs peuvent avoir l'opportunité de rester puis d'aller à Aigle, en Suisse. Nous avions expliqué comment ça fonctionne dans notre article sur le cyclisme Ethiopien.) Malheureusement, la fédération ougandaise de cyclisme ne travaille pas avec le CMC Afrique. Cependant, David Kinjah connait Jean-Pierre Van Zyl, le directeur du centre, il lui avait déjà envoyé des coureurs il y a de nombreuses années, donc il prévoit de lui demander de prendre Jordan. "Maintenant on travaille pour apprendre à Jordan de ne pas seulement penser à battre les ougandais et les kényans, explique Kinjah, mais aussi de penser à battre les Sud-Africains. Si les problèmes liés à la Covid diminuent et qu'il y a plus d'opportunités, je vais essayer de l'envoyer quelques mois en Afrique du Sud et peut-être que je parlerai à Jean-Pierre Van Zyl du Centre Mondial du Cyclisme Afrique, pour voir si Jordan peut rejoindre le centre. Mon plan est de l'envoyer d'abord en Afrique du Sud, car le circuit sud-africain est bien plus riche, les courses en Afrique du Sud sont difficiles et il y a de très bonnes équipes comme l'équipe Pro Touch ou beaucoup d'autres ; je connais quelques personnes en Afrique du Sud qui peuvent m'aider et loger Jordan comme je le fais au Kenya. Ensuite, s'il obtient quelques bons résultats et se fait un nom en Afrique du Sud, peut-être que je pourrais lui permettre d'aller en Suisse avec l'aide de Jean-Pierre. Je serais très heureux si je peux l'envoyer au Centre Mondial du Cyclisme en Suisse, et du CMC il sera peut-être prêt à rejoindre une équipe professionnelle."
Si pour une quelconque raison, Jordan ne pouvait pas aller en Afrique du Sud, il pourrait aussi essayer de rejoindre l'une des équipes Continentales rwandaises. Il y a beaucoup de courses au Rwanda, et ces équipes participent tous les ans au Tour du Rwanda, qui est la plus grande course africaine.
Etant donné que Jordan Schleck Ssekanwagi n'a fait que les African Continental Championships 2021 en dehors d'Afrique de l'Est, ça parait presque impossible pour lui d'aller en Europe en 2022 autrement qu'avec Bike Aid ou le Centre Mondial du Cyclisme. Peut-être que s'il a avaient pu courir des African Continental Championships dans la catégorie Junior et avait obtenu un titre ou une médaille, il serait plus connu, serait déjà allé au CMC Afrique, et des équipes comme Qhubeka, Nippo Provence PTS Conti, ou Global 6 Cycling auraient pu être intéressées ? Mais on ne saura jamais quel résultat il aurait obtenu et qu'est ce qui se serait passé ensuite.
David Kinjah pense que Jordan peut avoir un beau futur en Europe, l'histoire de Jordan est une de celles qui le motive à continuer ce qu'il fait. "Il y a beaucoup de choses négatives que je pourrais regarder et me dire ‘merde, je ne veux plus continuer à faire ça’, mais il y a aussi beaucoup de choses positives, Jordan est une bonne histoire qui vient d'une mauvaise histoire, c'est un plus. Et si dans le futur Jordan s'en sort bien et court au haut niveau, ce serait une autre très bonne histoire pour nous."
"Mon rêve dans le cyclisme, dit Jordan, est au moins de rejoindre une grande équipe pour que je puisse montrer mon talent et ensuite ramener une bonne image à la maison, afin d'encourager plus d'enfants de mon âge à se mettre au vélo. Vous savez, dans le cyclisme on peut accomplir beaucoup de choses, si on ne les accomplit pas avec des résultats on peut toujours le faire d'une autre manière."
Traversée de rivière sur le Tour de Machakos 2019 au Kenya
Charles Kagimu
Quand nous avions publié notre premier article sur Charles Kagimu (nous vous recommandons de le lire d'abord si vous ne l'avez jamais lu), il avait 20 ans et venait juste de terminer sa première saison avec l'équipe Bike Aid. Il était le premier Ougandais à avoir couru en Europe et avait découvert de grandes courses dont la Route d'Occitanie, le Tour de Savoie Mont Blanc et le Sibiu Tour. Il avait hâte de revenir en 2019 pour continuer à progresser et obtenir quelques résultats. Malheureusement, les choses ne se sont pas passées comme prévu pour lui : en décembre 2018, Bike Aid a perdu un sponsor important pour 2019 et par conséquent, l'équipe a eu des problèmes financiers durant toute l'année 2019. La situation n'était pas claire du tout à l'époque mais finalement, alors qu'ils continuaient à les payer, ils ont choisi de ne pas faire venir leurs coureurs kényans et ougandais en Europe car ils ne s'en sortaient pas financièrement. Donc, 2019 a été une année de perdue pour Charles ; il n'a même pas pu courir les championnats d'Afrique ni aucune course par étape africaine puisque l'équipe nationale ougandais ne participait pas. Il a seulement participé à la course en ligne des Jeux Africains au Maroc mais, étant donné que la course était complètement plate, il n'a rien pu y faire. Il a remporté le championnats national d'Ouganda, mais malheureusement la fédération ougandaise de cyclisme n'a pas officiellement envoyé les résultats à l'UCI. Il a aussi remporté des courses locales au Kenya, dont un contre la montre en novembre. Jusqu'à très tard dans l'année, il essayait de trouver une équipe pour 2020 mais il n'a eu aucune proposition en Europe. Il allait signer avec l'équipe rwandaise Benediction Ignite en novembre quand il a reçu un appel de Bike Aid qui souhaitait que Charles ainsi que les kényans Salim Kipkemboi et Suleiman Kangangi reviennent dans l'équipe en 2020. Charles Kagimu était donc de retour avec Bike Aid en 2020, sa première course de la saison était le Tour of Tigray en Ethiopie (on en a parlé dans notre article sur le cyclisme Ethiopien). Depuis plusieurs mois, il s'entrainait en contre la montre, et le chrono des championnats d'Afrique était l'un de ses grands objectifs de la saison, avant de partir en Europe avec Bike Aid et ensuite de viser le chrono des championnats du monde Espoir en fin de saison... mais la pandémie de Covid-19 est arrivée et les championnats d'Afrique ainsi que les championnats du monde Espoir ont été annulés. Il était aussi impossible pour Charles, en tant qu'Ougandais, d'aller en Europe en août quand la saison à repris après le confinement. Une fois encore, il était dans une situation difficile où il ne savait pas quand il aurait l'opportunité de courir à nouveau. "Au début ce n'était pas trop difficile, je pensais que peut-être on allait courir à nouveau bientôt, dans un ou deux mois, mais ensuite c'est devenu très dur, j'étais coincé au Kenya, je ne pouvais pas rentrer chez moi et je ne pouvais aller nulle part. C'était très compliqué car je n'avais jamais été dans une telle situation. Ensuite, les courses ont repris mais on ne pouvait toujours pas voyager, c'était un gros coup pour moi. Je suis passé par un moment difficile pendant quelques mois mais ensuite je me suis repris et j'ai fait quelques ourses sur Zwift juste pour me sentir à nouveau comme un cycliste ; ce n'est pas comme courir sur la route mais ça vous donne au moins ce sentiment de course. Mais globalement, c'était une année vraiment compliquée pour moi."
Charles Kagimu a dû attendre jusqu'en octobre pour courir, quand il a participé au Tour de Thaïlande. C'était une course spéciale car une quarantaine de deux semaines était obligatoire pour pouvoir participer, donc Bike Aid était la seule équipe étrangère au départ. La plupart des étapes étaient complètement plates, Bike Aid a remporté deux étapes avec son sprinteur Lucas Carstensen et le classement général avec Nikodemus Holler. Charles devait travailler pour ses leaders, il était en général le deuxième coureur de l'équipe à rouler, mais grâce à l'adversité limitée cette année il avait quand même réussi à être classé 8ème au général avant la dernière étape. Malheureusement, il a chuté dans les derniers kilomètres de la dernière étape ; il a quand même pu finir mais perdu 3 places au classement général et raté la cérémonie des podiums. "C'était un gros sacrifice d'aller en quarantaine, mais c'était spécial d'être en Thaïlande et de courir à nouveau. Je suis très heureux d'avoir réussi à y aller car à la fin de l'année j'avais au moins fait une course UCI, c'était bien de retrouver la course et aussi de marquer quelques points UCI bien sûr."
Two Rivers Crit Race 2019 (Kenya)
Champion national d'Ouganda en 2019
travail en tête pour ses leaders - Tour of Thailand 2020
Le Tour de Thaïlande a été la seule course UCI de Charles Kagimu en 2 ans. C'était presque comme si sa carrière pro s'était arrêtée d'octobre 2018 à octobre 2020. Heureusement, 2021 commence beaucoup mieux pour Charles. Il court toujours pour Bike Aid, mais sa première course de la saison était sous les couleurs de son équipe nationale. Il a participé aux championnats continentaux d'Afrique en Egypte et terminé 6ème du chrono (juste derrière le coureur WT Tsgabu Grmay qui était en bonne forme) et 12ème de la course en ligne. C'était un plutôt bon résultat étant donné le contexte dans lequel il courait : "Je n'avais pas vraiment hâte de courir ces courses car ce n'était pas le plan d'aller au Caire, explique-t-il, je devais retourner en Thaïlande avec Bike Aid mais le Tour de Thaïlande a été reporté, donc j'ai dû changer de plan et c'était assez dur pour moi car j'ai dû organiser beaucoup de choses très rapidement pour que ça se fasse. Je suis finalement allé là-bas mais malheureusement, j'ai attrapé un rhume et j'étais un peu malade pour le contre la montre. Ensuite, le matin de la course en ligne je ne voulais pas prendre le départ car je ne me sentais pas bien, j'ai été laché dès le premier tour mais ensuite je me suis senti un peu mieux et j'ai eu de la chance de pouvoir revenir à l'avant. Globalement, c'était une mauvaise course mais au moins c'était une bonne expérience avec les jeunes et tout le monde."
Début mai, Charles Kagimu a participé à son premier Tour du Rwanda, une course très difficile, la plus grande course par étape en Afrique. De fortes équipes étaient au départ cette année et les premières étapes ne se sont pas très bien passées pour Charles qui ne pouvait pas suivre les meilleurs coureurs. "Le Tour of Rwanda était assez difficile car le niveau était très élevé, la startlist était vraiment bonne et je pense que tout le monde était aussi très motivé d'être au Rwanda. C'était difficile et sur les premières étapes je ne trouvais pas mes jambes." Mais en fin de semaine, Charles, à qui il manquait surement quelques jours de course dans les jambes, a commencé à se sentir mieux. Il n'a pas réussi à prendre une échappée, mais en restant avec les leaders il a terminé 14ème de l'étape 5 et fait un très bon résultat lors de la dernière et la plus difficile étape de la semaine, terminant 9ème après les nombreuses montées du célèbre Mur de Kigali. L'étape a été remportée par le maillot jaune Christian Rodriguez de Total Direct Energie, Charles a terminé juste devant Jonathan Restrepo qui a perdu sa 2ème place au classement général suite à une chute. "Le dernier jour était fou, il y avait des pavés et des montées raides tout le temps ; à chaque tour, dans chaque ascension, chaque petite pente, au moins un coureur était lâché. J'avais de bonnes jambes mais je pense que j'aurais pu faire encore mieux car j'ai été pris dans la chute de Restrepo, on a perdu du temps et on n'a jamais pu revenir. J'étais un peu déçu mais la sensation des jambes était super motivante, ça me poussait vraiment et ça m'a rendu heureux. Je ne m'étais jamais senti comme ça dans une course par étapes, je pense que j'ai vraiment bien progressé, donc j'espère que peut être je pourrais obtenir un bon résultat sur les prochaines courses." De manière générale, Charles espérait une meilleure semaine mais il est content d'au moins s'être senti bien sur certaines étapes et d'avoir pu y faire quelques petits résultats. "C'était une bonne expérience et je suis aussi content d'avoir fait une course si difficile avant d'aller en Europe. J'ai juste hâte d'être sur les prochaines courses. C'était super de faire le Tour du Rwanda et peut-être que l'an prochain je pourrais revenir pour jouer le général ou gagner une étape."
Charles est revenu en Europe pour la première fois depuis 2018. Il était très motivé à l'idée de courir à nouveau en Europe, quand nous avons enregistré son interview il était encore en Ouganda alors que son équipier kényan Salim Kipkemboi participait au Challenge de Majorque et avait obtenu un très bon résultat avec sa 19ème sur le Trofeo Serra Tramuntana remporté par Jesus Herrada. "Je suis motivé, aujourd'hui j'ai vu que Salim a fait un Top 20. Ca me motive car il avait aussi le même sentiment que moi, il ne se sentait pas encore super sur les courses, mais il m'a dit que les jambes vont de mieux en mieux." Charles Kagimu a fait sa première course en Europe avec le Tour de la Mirabelle remporté par Idar Andersen d'UnoX. Il a terminé 40ème au classement général, il nous a dit que les jambes "étaient pas mal mais pas les meilleures." Il s'apprête à s'aligner au départ de La Route d'Occitanie, une course par étapes de 4 jours avec une arrivée au sommet dans les Pyrénées. La startlist est très bonne avec 8 WorldTems et 8 ProTeams au départ, Charles s'entraine dans les Pyrénées avec Salim Kipkemboi depuis quelques jours pour se préparer. Ensuite, il devrait faire le Sibiu Tour en Roumanie, une bonne course aussi mais avec moins de WorldTeams au départ, donc il pourrait peut-être obtenir quelques résultats là-bas.
Depuis fin 2019, Charles Kagimu s'entraine beaucoup sur le vélo de chrono, c'est quelque chose qu'il apprécie beaucoup : "Depuis plus d'un an j'ai réalisé que je peux peut-être être bon sur les chronos. Je n'ai pas un très bon corp pour le contre la montre mais je pense que j'ai la puissance pour pousser dans la position, et j'aime aussi la souffrance, surtout sur le vélo de chrono. C'est quelque chose que j'aime vraiment beaucoup et j'espère pouvoir y progresser." Quel type de course lui vont le mieux ? "Au Rwanda, j'ai réalisé que je performais plus sur les étapes qui étaient vraiment vraiment folles, surtout dans le final. Peut-être que les montées très raides sont là où je peux performer le mieux. J'aime aussi les longues ascensions mais je n'y étais pas très bon au Rwanda, j'étais un peu déçu mais je les aime aussi."
Tour du Rwanda 2021 - Sjors Beukeboom
Charles (à droite) s'entraine dans les Pyrénées avant la Route d'Occitanie avec Salim Kipkemboi
Masaka Cycling Club
En 2019, un projet a vu le jour dans la ville de Masaka, au sud de l'Ouganda, appelé "Masaka Cycling Club", lancé par l'Australien Ross Burrage et principalement financé par les dons mensuels de fans de cyclisme des 4 coins du monde. Masaka Cycling Club souhaite développer le sport cycliste dans cette région très pauvre, et aider leurs coureurs et coureuses à avoir une meilleure vie grâce au cyclisme. Inspiré par l'Africa Rising Cycling Centre au Rwanda, ils construisent leur propre Clubhouse à Masaka. Le but est de développer aussi bien les coureurs que les courses dans la région, tout en s'opposant à la corruption. Ils font aussi partie du projet de Team AMANI. Team AMANI voulait initialement faire venir des coureurs d'Afrique de l'Est à des courses locales aux Pays-Bas très jeunes, pour qu'ils puissent s'habituer au type de course européen plus tôt, mais depuis la pandémie ils promeuvent les courses virtuelles en Afrique de l'Est avec Zwift. Ils organisent aussi la Migration Gravel Race, une course de gravel internationale qui a lieu au Kenya.
Pour en apprendre plus sur le Masaka Cycling Club, vous pouvez visiter leur site, ou les suivre sur Instagram. Vous pouvez trouver beaucoup de podcast où ils expliquent tout de leur projet, des articles intéressants ont aussi été écrit par Africa Rising Cycling et CyclingTips. Et voici aussi le site de la Team AMANI.
Paul Kato, ancien champion d'Ouganda et capitaine de route de l'équipe
Florence Nakaggwa, coureuse Junior prometteuse
Florence Nakaggwa, promising Junior female rider
Futur du cyclisme ougandais
Aujourd'hui, il est difficile de voir un espoir de changement dans la fédération ougandaise de cyclisme. Ces dernières années, les choses semblaient parfois aller mieux, mais à chaque fois on revenait finalement au point de départ. Charles Kagimu et Jordan Schleck ont dû aller au Kenya car ils ne pouvaient pas continuer le cyclisme en Ouganda où la plupart des gens et des clubs, comme la fédération, considèrent qu'il n'est pas possible d'être cycliste proffesionnel en venant d'Ouganda. Malheureusement, beaucoup de jeunes coureurs ont arrêté le cyclisme en Ouganda par le passé, mais il y a toujours eu beaucoup de talents dans le pays, et il y en aura toujours dans le futur, avec un peu de chance certains suivront les pas de Charles et Jordan. Le Masaka Cycling Club et David Matovu, parmi d'autres, essayent de faire changer les choses, mais ça prendra du temps.